L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible» L’exposition d’étĂ© est consacrĂ©e Ă  trois thĂšmes essentiels dans la crĂ©ation de Paul Klee: l’espace, la nature et l’architecture. A dĂ©couvrir jusqu’au 16 octobre prochain. Gelbes Haus, 1940. Aquarell und Kleisterfarbe auf Papier auf Karton. ƒuvre appartenant Ă  un privĂ©, mais dĂ©posĂ©e au Centre Paul Klee, Ă 
ï»żIci-bas, je ne suis guĂšre saisissable », griffonnait Paul Klee dans son journal en 1920. Un an plus tĂŽt, un poste de professeur Ă  l’AcadĂ©mie des beaux-arts de Stuttgart lui Ă©tait passĂ© sous le nez. La faute Ă  ses adversaires, qui avaient menĂ© une vĂ©ritable cabale contre lui, le dĂ©peignant comme un rĂȘveur excentrique incapable d’enseigner, un Ă©lectron libre perdu dans les mĂ©andres de l’art pour l’art ! Mais qui de mieux, justement, qu’un artiste insaisissable pour enseigner les mystĂšres de la crĂ©ation ?En 1920, l’architecte et designer allemand Walter Gropius dĂ©cide de donner sa chance au peintre en l’engageant comme professeur au Bauhaus de Weimar, l’école la plus avant-gardiste d’Allemagne qu’il vient tout juste de crĂ©er. Paul Klee a 41 ans. Fils d’une cantatrice française et d’un professeur de musique allemand, ce natif des environs de Berne se distingue par ses tableaux abstraits au style inclassable, inspirĂ©s de Robert et Sonia Delaunay, tout comme de Wassily Kandinsky, son ami et rival. S’y entremĂȘlent des formes, lignes et surfaces colorĂ©es, des quadrillages, des flĂšches, divers symboles et parfois quelques Ă©lĂ©ments figuratifs, stylisĂ©s ou dĂ©composĂ©s d’une maniĂšre cubiste. voir toutes les imagesPortrait de Paul Klee dans son atelier du Bauhaus Ă  Weimar, Allemagne, 1924i© Lebrecht/LeemageDĂšs janvier 1921, Klee s’installe au Bauhaus pour enseigner la thĂ©orie de l’art moderne mais aussi d’autres matiĂšres comme le design ou la reliure. Trois ans plus tard, l’école dĂ©mĂ©nage Ă  Dessau, Ă  une cinquantaine de kilomĂštres au nord de Leipzig. Non loin du bĂątiment principal, Klee et les autres maĂźtres » habitent chacun une rĂ©sidence dernier cri comprenant un grand atelier aux couleurs vives dotĂ© d’une baie directeur de l’école ne regrette pas son choix trĂšs vite, Klee qui restera dix ans Ă  ce poste se forge une rĂ©putation de professeur farfelu mais gĂ©nial, de ceux qui marquent Ă  vie. Ses cours – de la poĂ©sie pure » selon une ancienne Ă©lĂšve – allient prĂ©cision scientifique et rĂȘverie quasi mystique. Car, en art, explique le peintre dans sa ThĂ©orie de l’art moderne transcription de sa confĂ©rence donnĂ©e Ă  la SociĂ©tĂ© des beaux-arts d’IĂ©na en 1924, la recherche exacte » n’est efficace que lorsque l’intuition » lui donne des ailes ! Mais l’intuition Ă©tant difficile Ă  enseigner, Klee dĂ©cide plutĂŽt d’apprendre Ă  ses Ă©lĂšves quelques principes de base de la n° 1 l’art est un langage de signes. Couvrant le tableau noir de croquis et de diagrammes, le peintre dĂ©crit Ă  ses Ă©tudiants diffĂ©rents types de lignes obtenues Ă  partir de points et comment les emmener en promenade ». Il leur prĂ©sente aussi les diffĂ©rents types de formes et leurs possibles dispositions dans l’espace. Comme si elles Ă©taient des symboles, des lettres Ă  assembler en mots, puis en phrases. L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible »Paul KleePlace ensuite au mouvement. Chez lui, Klee demande Ă  ses Ă©lĂšves d’observer son grand aquarium oĂč des poissons tropicaux dansent un Ă©ternel ballet de couleurs vives. De temps Ă  autre, il joue avec l’interrupteur pour les faire rĂ©agir, encourageant ses Ă©tudiants Ă  prendre des notes sur leurs trajectoires. L’idĂ©e est de s’inspirer des mouvements de la nature pour en tirer des compositions abstraites vĂ©hiculant des Ă©motions impalpables. Car l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible »  Puisque seule la nature, grande crĂ©atrice, peut nous apprendre Ă  devenir nous-mĂȘmes dĂ©miurges, Klee Ă©tudie la magie de la germination des graines, de la circulation du sang, de la formation des nervures et des cours d’eau, puis en tire des modĂšles qu’il dĂ©crit Ă  ses Ă©lĂšves Ă  l’aide de croquis, Ă©quations et diagrammes
 tel un alter ego artiste du gĂ©nial mathĂ©maticien John Forbes Nash, Jr. interprĂ©tĂ© en 2001 par Russel Crowe dans le film Un homme d’exception de Ron Howard Ă©tudiant les mouvements des pigeons de Princeton ! voir toutes les imagesPaul Klee, Flussbaulandschaft Paysage avec riviĂšre et bĂątiments, 1924iHuile sur papier ‱ 36 × 53,7 cm ‱ Coll. Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe, Allemagne ‱ © akg-images La couleur me possĂšde », Ă©crit-il dans son journal. De la fameuse roue des couleurs opposant le rouge et le vert, le orange et le bleu, le jaune et le violet dessinĂ©e un siĂšcle plus tĂŽt, en 1809, par Johann Wolfgang von Goethe, Klee tire une version sphĂ©rique plus prĂ©cise englobant toutes les nuances de teintes et de saturation. Puis encourage ses Ă©lĂšves Ă  combiner les couleurs comme des notes de musique, harmonieuses ou dissonantes
 Chez lui ou dans son atelier, oĂč s’alignent chevalets, diluants, vernis et pots remplis de pinceaux soigneusement nettoyĂ©s, Klee joue parfois du violon pour ses Ă©lĂšves, seul ou accompagnĂ© d’autres musiciens dont sa femme, la pianiste Lily Stumpf. D’autres soirs, il les invite Ă  dĂźner sans suivre de recette, le peintre assemble les ingrĂ©dients au fil de son inspiration. AprĂšs les cours, tous s’assoient en cercle pour vernir des pots d’argile ou fumer des cigarettes en discutant d’art. RĂ©guliĂšrement, Klee inspecte les toiles de ses Ă©lĂšves puis leur livre son analyse
 sans jamais donner de notes. Un style peu conventionnel qui lui vaut d’ĂȘtre gentiment caricaturĂ©, en 1928 dans la revue Bauhaus, sous les traits d’un Bouddha en lĂ©vitation au-dessus de l’école, vĂ©nĂ©rĂ© par deux Ă©tudiants prosternĂ©s ! voir toutes les imagesPaul Klee, Aufgehender Stern Étoiles filantes, 1931iHuile sur toile ‱ 62 × 50 cm ‱ Coll. Fondation Beyeler, Riehen / BĂąle ‱ © akg-imagesEn 1931, Klee devient professeur Ă  l’AcadĂ©mie des beaux-arts de DĂŒsseldorf. HĂ©las, en 1932, la section d’assaut du parti nazi perquisitionne chez lui et le fait renvoyer en 1933. La mĂȘme annĂ©e, le Bauhaus est dissous et 17 Ɠuvres de Klee figurent dans la tristement cĂ©lĂšbre exposition d’ art dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© ». En dĂ©cembre, l’artiste se rĂ©fugie en Suisse oĂč il meurt d’une maladie rare en 1940. Mais l’homme laisse derriĂšre lui prĂšs de 3 900 pages de notes illustrĂ©es de croquis dont une partie est publiĂ©e dĂšs 1925 Les Esquisses pĂ©dagogiques. Ses cours suivront sous le titre Paul Klee, cours du Bauhaus Weimar 1921–1922 – Contributions Ă  la thĂ©orie de la forme picturale Hazan, 2004. Klee y livre sa vision de l’art moderne mĂȘlant poĂ©sie mystique et rigueur scientifique. Pour une abstraction Ă  la fois prĂ©cise et lĂ©gĂšre comme la musique, libre comme un poisson dans l’eau, flottant au-dessus du commun des mortels
 . 656 727 715 493 746 681 572 61

l art ne reproduit pas le visible il rend visible